La pratique collective de la pleine conscience

 

 

Vol 9 #5


Caroline Giroux, MD, FRCPC

 

Author information:

Associate Clinical Professor, Psychiatrist, Department of Psychiatry and Behavioral Sciences, UC Davis Health System, Sacramento, CA, USA


La pleine conscience se définit par un état d’être qui se situe dans le maintenant, avec attention totale, curiosité, et sans jugement (on observe une émotion sans lui donner d’étiquette comme « bonne » ou mauvaise »). En d’autres mots, elle consiste à apprécier la plénitude de chaque moment que nous vivons et surtout, d’être en contact avec notre être dans sa plénitude [1].

Cette pratique est intentionnelle, active et devrait idéalement être combinée à tout ce que nous faisons, à tout ce que nous approchons dans la vie, qu’il s’agisse d’un geste délibéré ou d’une approche plutôt passive. Elle est donc l’antithèse d’un esprit en proie à la distraction et améliore le focus.

La capacité à remarquer et observer tout état de distractibilité est en fait un pas dans la bonne direction et peut mener à un état pleinement conscient. La méditation est une forme de pleine conscience, et par le silence, une façon de calmer le tourbillon de l’esprit en prenant une distance par rapport à lui pour l’observer, et elle peut être conceptualisée comme un état de pleine conscience prolongée, plus formelle ou ritualisée, comme dans la position assise ou allongée pendant de longues minutes.

 

Il ne fait plus aucun doute que la pratique régulière de pleine conscience (comme la meditation) est bénéfique pour la santé à tant de niveaux : régulation de l’humeur (diminution du taux d’anxiété, de dépression ou de colère), amélioration du sommeil, et fonctionnement cognitif plus optimal par l’augmentation de la capacité d’attention. De telles activités accroissent donc la résilience. De plus, chacune de ces activités présente l’avantage d’être le plus souvent gratuite et hautement portative (on peut méditer n’importe où, en tout temps). La plupart des gens tendent à caractériser une telle activité comme solitaire. Même quand la méditation se pratique en groupe, chaque personne chemine dans le processus à sa façon. Mais existerait-il des avantages à la pratique en groupe versus solo ? Compte tenu du confinement et de l’isolement plus aigu en temps de pandémie, y aurait-il des effets bénéfiques additionnels à se joindre à un groupe de méditation virtuel au lieu de ne faire qu’une méditation en privé ?

 

Pour moi personnellement, j’ai toujours trouvé que d’effectuer une tâche en compagnie d’autres personnes accroissait ma motivation (comme étudier pour des examens en compagnie de co-locataires qui suivaient le même cours). Aller faire du jogging avec mon copain était toujours plus tentant que d’y aller seule. Je trouve aussi moins déprimant et plus excitant de préparer un repas pour des invités que pour moi seule. De plus, il y aurait des avantages de santé et sociaux documentés liés au fait de manger ensemble : nourriture plus saine, temps d’ingestion plus long (et donc, manger avec pleine conscience), par conséquent, moins de risque d’excès etc. En général, l’aspect social fait de ce rituel de repas une expérience plus agréable, au cours de laquelle peut s’exprimer de la gratitude, elle-même une qualité de pleine conscience.

 

On pourrait aussi penser que les neurones-miroirs joueraient un rôle. Ils consistent en l’activation de façon simultanée de processus en voyant d’autres personnes s’engager dans une activité, tout comme si on la faisait soi-même, ce qui donne à penser que les effets d’une méditation en compagnie d’autres méditants pourraient s’en trouver accentués. Lorsque que mes enfants étaient plus jeunes et très actifs, les voir sombrer doucement dans leur sieste avait toujours un effet calmant et relaxant, comme si moi-même je dormais avec eux, même si je restais réveillée (il le fallait puisque j’avais tant de tâches à accomplir que je n’avais pas pu faire en interagissant avec eux). Aussitôt réveillés, leur énergie renouvelée les incitait à explorer de façon intensive, avec pour résultat un drainage d’énergie chez moi simplement à les regarder faire !

 

Les neurones-miroirs, comme théorie de la résonance des cerveaux et des comportements, représente un concept utile quand vient le temps d’expliquer pourquoi s’asseoir et prendre un repas serait plus relaxant et plus propice à la digestion quand les invités font de même, contrairement à être contraint de regarder certaines personnes plutôt agitées ou hyperactives (comme certaines personnes dans ma famille) se lever rapidement pour immédiatement commencer à faire la vaisselle même si certains n’ont pas terminé leur assiette. Quel désenchantement!

Encore une fois, la pleine conscience en parallèle chez les personnes qui vivent un moment ensemble est non seulement désirable, mais presque nécessaire si on veut s’assurer que des intérêts ou mécanismes en compétition (la digestion et l’absorption grâce au système parasympathique d’une part, et le mode action ou dirigé vers un but du système sympathique, d’autre part) ne travaillent pas l’un contre l’autre, interférant alors avec une expérience méditative harmonieuse.

 

L’attention totale ou la pleine conscience à chaque instant est aussi essentielle dans toute conversation harmonieuse. Afin de vivre un échange nourrissant au lieu d’un débat drainant, les deux protagonistes impliqués dans la discussion devraient pratiquer cette pleine conscience, en portant attention à la fois à ce qui est dit et à ce qu’ils entendent (écouter vraiment pour entendre et comprendre, plutôt que de répliquer).

Un seul qui est pleinement conscient n’est pas suffisant pour promouvoir un échange fructueux si l’autre oscille entre le passé (en devenant sur la défensive, utilisant des circonstances passées et blessantes pour contaminer la signification des mots de l’autre) et le futur (en utilisant la projection, ou en faisant des généralisations hâtives, se trouvant à deux étapes plus loin, cherchant une « signification à la question » ou encore cherchant un agenda caché, extrapolant de façon paranoïde l’issue de la conversation). Être « pleinement co-conscients » signifie confiance mutuelle, réceptivité sans jugement, et voir et entendre l’autre personne avec regard et ouïe neufs.

 

En ce qui concerne la méditation en particulier, on peut présumer qu’en plus de savoir que quelqu’un d’autre pratique la pleine conscience en même temps que soi, le fait d’être assis dans un même espace virtuel (avec possibilité de constater que d’autres ont aussi les yeux fermés et suivent la méditation guidée) accentuerait sinon les effets, au moins la capacité à surmonter les obstacles pour accéder au vaste champ de l’attention totale. Faire cet exercice en groupe en plus d’une occasion pourrait créer un repère ou stimulus significatif (la présence visible d’autrui) contribuant à une certaine forme de conditionnement ou un élément qui, quand associé aux instructions de la méditation guidée, peut accroître l’habileté à accéder à un état mental de plus grande réceptivité.

 

Une autre dimension métaphysique peut aussi être prise en considération. Tim Desmond a écrit que Thich Nhat Hanh aurait averti ses élèves de ne pas pratiquer la pleine conscience sans le support d’une communauté:

 

“C’est comme une goutte de pluie tombant sur le sommet d’une montagne et espérant se rendre seule jusqu’à l’océan. C’est impossible. Toutefois, si elle s’y rend en faisant partie d’une rivière, atteindre sa destination devient possible. Si nous pouvons trouver des gens qui partagent nos aspirations, notre énergie collective devient notre rivière nous amenant dans la direction désirée ». [2]

 

Plus je pratique, plus je suis d’accord avec une telle métaphore. La pleine conscience est un peu comme étudier, sauf qu’il n’y a pas d’examen, car c’est un processus infini. C’est l’étude de l’âme humaine, et les bénéfices pour notre monde seront les plus grands quand nous arriverons à nous relier ensemble sur ce vaste continent, celui de la pleine conscience et de la compassion. Pour l’instant, si personne ne peut se joindre à votre « groupe d’étude », visualisez d’autres personnes essayant de méditer en même temps que vous, comme Jon Kabat-Zinn, Tara Brach, Pema Chödrön, Thich Nhat Hanh, Deepak Chopra, Frédéric Lenoir, Christophe André. Il y a quelque chose de très puissant à s’imaginer comme partie intégrante de ce travail commun vers la sérénité.

 

Références suggérées :

 

  1. Kabat-Zinn J, Où Tu Vas, Tu Es (French version of: Wherever You Go, There you Are, Hyperion, New York, 1994). French translation: Editions Jean-Claude Lattès (J’ai Lu), 1996.

 

  1. Desmond T. How to Stay Human in a F*cked-Up World: Mindfulness Practices for Real Life. Harper One. 2019.