Comment le développement d’un narcissisme sain peut-il aider à prévenir les traumatismes interpersonnels ?
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Vol 10 #3
Caroline Giroux, MD FRCPC
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Associate Clinical Professor, Department of Psychiatry and Behavioral Sciences, Sacramento, CA, [email protected]
Plus que jamais, il semble que nous vivions dans une ère de narcissisme destructeur. Un grand nombre d’enfants ont souffert sous la tutelle de parents aux défenses narcissiques destructrices, devenant à leur tour des adultes victimes dont une proportion s’identifie à l’agresseur, perpétuant ainsi un cycle de trauma : personnel, familial, transgénérationnel, sociétal. Et maintenant, global. Comment peut-on ignorer le narcissisme malin de certains leaders nationaux, leur soi-disant leadership mis à l’épreuve alors que nous allons de crise globale à désastre à grande échelle ? Il ne semble même pas y avoir de tension entre leurs principes égotistiques et les intérêts du peuple. Les décisions semblent se prendre sur la base des premiers. En tant que thérapeutes, nous sommes interpellés trop tard, quand il faut constater les dégâts, minimiser l’impact de conduites oppressives, violentes et d’hémorragies narcissiques. Mais il doit bien exister une autre façon que d’éteindre les feux.
Comme champ qui discute souvent de ce que Winnicott a appelé la « haine objective » que l’on peut ressen Wtir envers un patient narcissique, il nous faut utiliser nos vulnérabilités collectives devant de tels déclencheurs transférentiels comme source de momentum éclairant. Car ce que nous ressentons en interagissant avec un patient abrasif serait aussi ressenti par la plupart des gens, d’où la qualité « objective » de la haine. Pour être en mesure de réfléchir dans la clarté, de maintenir un niveau décent de compassion, tout en gérant un ensemble envahissant et complexe d’émotions mélangées, il faut arriver à créer une distance optimale entre les attaques provenant de ces patients et notre essence. Je me souviens très bien d’un tel patient que j’ai évalué en cinquième année de résidence avec mon mentor. Dire que sa présentation était arrogante tient de l’euphémisme. Son attitude était saturée de mépris à mon endroit, alors qu’il persistait à me désigner « étudiante », et me fit même une remarque déstabilisante sur ma tenue vestimentaire, alléguant que le style était passé mode. Fouettée par un tel jugement, sans être vraiment en mesure de m’articuler cette micro-agression dont je venais d’être l’objet, je pressentais, avec malaise, l’intentionalité derrière ce commentaire qui visiblement cherchait à m’intimider. En d’autres mots, il représentait un grand défi en entrevue, en plus d’avoir la fâcheuse et épuisante tendance de nous retourner nos questions comme un boomerang. Puis, une intervention anodine de ma part vers la fin de cette pénible et corrosive session sembla suffire pour faire tourner le vent et créer un dénouement intéressant : il me remercia et démontra même un certain degré de respect dans son attitude, tout en refusant avec mépris d’échanger une poignée de mains avec mon superviseur. Depuis ce temps, je compris que le clivage n’était pas un mythe, et que la réalité pouvait dépasser la caricature.
Déterminants sociaux
Nos sociétés rapidement changeantes, faisant dériver notre paysage social, et modelant des configurations familiales complexes, contraignent notre cerveau de primate qui ne peut suivre le rythme de cette évolution à subir des adaptations majeures. L’efficacité déclinante des aspects stabilisateurs de nos institutions (écoles, églises, autres groupes communautaires etc) à tamponner les stresseurs a aussi des conséquences sur le développement individuel; il est donc presque naturel que la nature humaine n’arrive pas à aller au-delà de la phase d’échafaudage (ou de l’ego) dans le développement de la personnalité de façon à survivre et répondre aux demandes changeantes en exhibant rapidement différentes personas tel un caméléon.
Pensons aux média sociaux, comment ils affectent nos vies et notre perception de soi. Tout à coup, nous pouvons nous déclarer journalistes, reporters, photographes, bloggeurs etc, grâce à des « publications » instantanées. Certains deviennent accros aux notifications « j’aime » comme s’il s’agissait de sucreries et le nombre total d’amis peut aussi servir de métrique d’estime de soi ou valeur personnelle en tant qu’indice de popularité ou désirabilité. Frédéric Lenoir avait très bien décrit la fonction de l’ego dans un épisode de talk show : « L’ego est une structure qu’il faut éventuellement dépasser. » L’ego est aussi une agence de notre psyché qui produit des mécanismes de défense, lesquels ne sont pas toujours matures. L’ego tend aussi à s’identifier à un autre produit de sa fonction, soit les pensées, et à y s’accrocher. Il se laisse duper par les images, rôles et attributs externes et changeants du monde de la forme. Au contraire de l’essence ou du Self, l’ego est considéré comme une illusion, mais capable de causer de grandes souffrances, d’étouffants tourments. C’est l’ego qui nous fait nous sentir misérable quand nous n’atteignons pas le succès que nous espérions, quand nous vivons un deuil que nous équivalons avec échec. C’est comme un trou noir jamais satisfait, et plus on l’emplit (de célébrité, de pouvoir, de fortune, de possessions matérielles…), plus il en demande. D’un autre côté, notre essence est toujours là et non affectée par les circonstances extérieures, rôles ou récompenses. L’essence se satisfait du maintenant et nous permet de vivre l’abondance dans le peu, l’éternité dans le présent, l’espace infini dans la quiétude d’un esprit silencieux. Y accéder nécessite l’évaluation pleinement consciente des émotions, qu’elles soit agréables ou désagréables, voire souffrantes. L’ego ne permet pas à la personne de vivre pleinement les affects difficiles et plutôt développe une artillerie de défenses cherchant à supprimer l’expérience intérieure, car elle peut être vue comme un obstacle au succès, une tache à l’image impeccable que l’on chercherait à maintenir à nos yeux et ceux du monde. Au lieu de croître avec la prise de conscience de sa propre vulnérabilité, au lieu d’apprendre de cette peste universelle appelée honte, l’ego refuse de la voir et érige des fortifications qui finissent par aggraver le problème, générant encore plus de trauma, appauvrissant la vie psychique, interrompant la croissance spirituelle.
Le développement d’un narcissisme malsain peut provenir de mécanismes divers, mais habituellement il provient d’une carence (négligence) ou pseudo-satisfaction ou sur-satisfaction des besoins de sécurité émotionnelle de base par manque de résonance (attachement blessant ou traumatique) ou de ressources (pauvreté, sous-stimulation). Au-delà de la dyade parent-enfant, il y a également des effets générationnels ou de cohorte qui façonnent le développement de l’ego. Certaines générations ont grandement souffert (privations durant la guerre) et les survivants ou leurs descendants tentent de vivre par procuration en donnant à leurs enfants tout ce qu’ils n’ont pas eu (surcompensation par sur-satisfaction des besoins). Ces deux genres de situations posent des risques en créant un terrain fertile pour une attitude égocentrique du genre « tout m’est dû », une caractéristique fréquente des narcissiques.
Ingrédients pour un narcissique sain
Que faut-il pour le développement d’un narcissisme sain, avec un ego qui sait quand son travail est terminé et qu’il lui faut sortir de la scène ou muer comme la peau d’un arthropode ? Winnicott a résumé de tels éléments : une mère suffisamment bonne, holding et mirroring. La mère (ou père) suffisamment bonne valide son enfant, l’accepte tel qu’il ou elle est, tout en étant elle-même imparfaite et ne cherchant pas à prétendre le contraire, en demeurant flexible, permettant des failles ou erreurs menant à des doses gérables de frustrations.
Des difficultés à être en résonance vont nécessairement se produire, mais le parent suffisamment bon est capable de reconnaître ces manquements ayant blessé l’enfant, de prendre responsabilité et d’initier une réparation en s’excusant (sincèrement, avec le cœur, et non avec les scripts de l’ego), tout en donnant place à l’expérience émotionnelle de l’enfant et en faisant tout en son pouvoir pour prévenir d’autres blessures similaires.
Un parentage adéquat consiste aussi à contenir (holding) de façon flexible, avec une totale attention pour être en résonance, et une structure. Contenir ou aider l’enfant à métaboliser son expérience est essentiel à la régulation affective et la sécurité générale. En remarquant, nommant, contenant les affects archaïques ou envahissants de l’enfant, on peut mieux le guider dans son processus de métabolisation en donnant un sens à ses émotions. La résonance signifie que les parents sont attentifs aux réponses émotionnelles de l’enfant, ses inclinations, ses défis et y répondent de façon appropriée. Ils favoriseront sa croissance en renforçant les aspects matures tout en encourageant l’émergence de compétences plus difficiles à maîtriser sans rendre l’enfant honteux. De tels parents voient leur enfant non pas « parfait » ou comme « le meilleur » mais entier, unique et plein de potentiel. Ils sont capables de fournir une rétroaction réaliste à l’enfant par rapport à ce qu’il est afin de soutenir son développement.
À cet effet, Winnicott a introduit la notion de « mirroring ». Bien entendu, les parents qui n’ont pas résolu leurs propres enjeux narcissiques seront incapables de voir leur enfant sans une lentille déformée, d’où par exemple le père agressif et compétitif forçant un enfant (non athlétique et préférant la musique) à pratiquer des sports, ou la mère perfectionniste qui est hypersensible à la honte qui accomplit tous les projets scolaires de son enfant afin d’assurer une note parfaite.
En d’autres mots, voir son enfant comme sa propre extension narcissique en l’idolâtrant une forme d’abus subtil ou négligence grossière de sa vraie nature. Une critique extrême est un autre côté de la même médaille. Dans les deux cas, le mirroring n’est pas fait correctement. L’enfant n’est pas affirmé ou valorisé tel qu’il est. Une résonance défectueuse concerne l’ego du parent et mène à davantage de frustration chez celui-ci et un sentiment chez l’enfant qu’il doit se conformer à cette image que le parent a de lui, qu’il n’est pas assez ou bien tel quel.
De façon à survivre et pour s’assurer qu’il sera aimé, l’enfant finit par supprimer son vrai self et crée alors un faux self, ou persona « as if », en s’identifiant à un ego défini par et manufacturé d’après des attentes externes. Finalement, une structure ferme mais flexible est essentielle pour donner à l’enfant un sentiment de sécurité émotionnelle. Les parents qui ne disent jamais non n’habituent pas leurs enfants à tolérer la frustration (pensons aux « enfants-rois » qui veulent out, et pas maintenant, mais hier), ou les parents qui ne développent pas de routine rassurante ou des règles équilibrées comme une heure de coucher peuvent donner l’impression qu’ils ne se soucient pas de ce qui pourrait arriver à l’enfant, qu’il ne compte pas au point qu’il ne vaille pas la peine qu’on prenne le temps de lui dire non ou de mettre des limites. Il en résulte alors un attachement insécure, l’enfant vivant une anxiété due à l’incertitude quant à l’intervention d’un adulte pour le protéger advenant un danger. En résumé, le narcissisme pathologique est une forme d’arrêt développemental dû à une privation une phase quand l’enfant avait besoin de feedback environnemental spécifique pour maintenir une cohésion de soi et un attachement sécure.
La honte : une émotion centrale chez le narcissique
La honte est une émotion universelle. Elle est essentielle pour notre survie et indique que l’intégrité de notre self ou concept de soi émergeant est menacée. La plupart des gens seront d’accord pour dire qu’il s’agit d’une expérience très désagréable. C’est aussi une émotion centrale à l’expérience traumatique due au sentiment d’impuissance découlant du rôle de victime, parfois combinée à une humiliation secondaire aux sévices subis. Puis, des symptômes (addictions, dissociation, réponse de fuite ou de riposte, aussi appelée « fight or flight ») se mettent en place comme tentatives de gérer cette honte suite à un abus par exemple. Afin de la surmonter, il faut d’abord reconnaître sa présence et y faire face, l’observer comme un faisceau laser. Mais nous vivons dans un monde où même la honte elle-même engendre de la honte. Méta-honte, ou honte d’avoir honte… Cela mène alors à une honte toxique.
Quand les enfants sont jeunes et se développent, ils n’ont pas encore le vocabulaire suffisant pour articuler ou métaboliser leur honte. Si les parents causent cette honte par leur dénigrement ou insultes, ils ne seront plus perçus comme étant sécures ou protecteurs potentiels pour les protéger d’un tel stress. Puisqu’il leur faut quand même se tourner vers ces figures parentales abusives pour leur protection et leur survie, afin de tolérer une telle représentation contradictoire, l’enfant va cliver l’image de tels parents afin d’en préserver les bons aspects. Une adaptation sur le moment, certes, mais à force de répéter ce mécanisme, cela crée des troubles d’attachement et des problèmes dans des relations subséquentes basées sur de tels modèles.
Afin de survivre sur le plan psychique, de tels enfants blessés deviennent des adolescents puis des adultes qui auront appris à enterrer cet innommable sous couche après couche de défenses, comme des sédiments qui se cristallisent dans une personnalité rigide et contrôlante. La honte ne peut être contenue ou métabolisée et est donc partiellement transformée en ou enterrée sous l’envie. Au lieu de porter attention à ses propres limitations perçues, l’envieux préfère regarder en les autres ces attributs positifs qu’il recherche. Mais vivre de l’envie est aussi intolérable. Cela signifie que quelqu’un a quelque chose que je n’ai pas. Cela exacerbe le vécu que l’on cherchait au départ à supprimer : la honte !
L’envie aussi paralysante et destructrice, est insoutenable et peut donc évoluer en colère ou rage. La différence de valeur personnelle perçue entre moi et l’autre est vécue comme une injustice, et donc elle peut générer de l’agression, une attaque pour se défendre de l’injustice perçue. Mais tôt ou tard, des manifestations de colère risquent de générer la désapprobation sociale. Par conséquent, elle est reniée via un mécanisme de défense primitif appelé projection, comme dans le cas de la paranoïa (« c’est l’autre qui cherche à me détruire ! ») et ensuite, parce qu’elle consume l’énergie (sinon la vie), elle est atténuée sous forme d’arrogance, cette combinaison de mépris et de grandiosité. Sur le plan individuel et interpersonnel, de telles défenses revêtent un potentiel destructeur. Sur une échelle nationale ou globale, les gens risquent de souffrir dans des proportions désastreuses aux mains de leaders narcissiques, car ces gens extrêmement envieux ont un besoin insatiable de pouvoir, et cet attribut pairé à un manque d’empathie peut les mener (ou ceux qu’ils ont subjugués) à commettre des actes horribles.
Le narcissique discret, ou « covert » quant à lui peut manifester son envie par du dénigrement, mais une vacuité est inévitable. Notre joie est décuplée dans son partage avec les autres, et en étant un rabat-joie avec les autres, cela crée un vacuum spirituel. La tentative de combler le vide prendra alors la forme de l’idéalisation. Mais si on creuse, on s’aperçoit que cette pseudo-admiration, cette obséquiosité est de l’agressivité déguisée.
La figure a pour but d’illustrer deux variantes de développement des défenses expliquées plus haut et basées sur deux phénotypes narcissiques : le narcissique flamboyant, à cuirasse épaisse, ou « overt » (estime de soi ou d’ego exagérée) versus le narcissique de placard, ou à cuirasse mince (s’attend au rejet, en proie à la fragmentation ; tend à s’associer au type flamboyant afin d’augmenter son « estime d’ego »). Mais même si de telles défenses permettent au narcissique d’oublier temporairement la honte, sa rage et son envie sont menaçantes pour la stabilité d’un ego déjà fragile et finissent par devenir des forces toxiques pour ceux qui deviennent des cibles d’une telle expérience.
Figure – La honte intolérable : les couches de défenses d’un narcissique pathologique
Le glamour versus le mondain
Le narcissisme malsain est prévalent. Dans notre quotidien, ses manifestations peuvent être très subtiles et ne se présenteront pas nécessairement aussi dramatiquement que certains chefs politiques qui paradent même s’ils ont une maladie hautement contagieuse. Plusieurs d’entre nous devons composer avec des gens qui sont irrespectueux des limites, qui sont rigides, qui cherchent à contrôler toutes les variables. Leur entourage risque de se sentir exploité, ou réduit au statut utilitaire d’un ensemble de fonctions, non pas vu comme un tout (certains hommes exploitent les femmes et clivent les représentations qu’ils ont d’elles basé sur une satisfaction de besoin primitive et égotistique, comme dans le complexe de « La Pute et la Madonne »).
De tels gens croient que leur façon de faire est la meilleure et font en sorte que les autres autour se sentent défectueux ou incompétents (et ce serait dû aussi en partie à de la projection). Un tel dénigrement ou une posture tyrannique peut alterner avec un torrent de compliments, ce qui augmente le sentiment de confusion, engendrant la manipulation de l’esprit de la victime. Ils se présentent souvent comme hypercritiques, despotes, avec des remarques tranchantes et sont experts en gaslighting. Ils se fichent de la conservation des ressources et polluent allègrement (leur ego ne peut penser au-delà de résultats avantageant leur avancement; ils se perçoivent comme l’arbre unique, ignorant la forêt).
Dans nos milieux cliniques, il existe un niveau de narcissisme blessé dans une pléthore de troubles psychiatriques. Pensons à l’antisocial qui est au-dessus des règles et exploite les autres. Ou les principes rigides de la personnalité obsessive qui la met au-dessus des autres tout en maintenant des attentes tyranniques des autres. Ou le paranoïde qui croit que les services secrets ou une célébrité (en lien avec la grandiosité) sont à ses trousses ou le harcèlent. Ou l’omnipotence d’une personne en phase maniaque.
Porter attention à notre contre-transférence peut aussi nous donner des signaux d’alerte : ennui, sentiment de vie, irritabilité, froideur, oppression, le sentiment d’être instrumentalisé. Le sarcasme ou l’identification projective de ces patients risquent de semer le doute. L’entourage se sent disqualifié. Pire que tout, le sur-empathique qui a un désir sincère de comprendre cet individu qui le désoriente peut se sentir déconnecté de lui-même, dévitalisé. Les narcissiques pervers utilisent la relation pour s’auto-réguler : ils projettent les émotions qu’ils sont incapables de métaboliser eux-mêmes, et la victime, brutalisée par un tel assaut, adopte l’émotion s’en sans apercevoir, l’assume et s’identifie avec (identification projective).
Recommandations et conclusion
Il est crucial de devenir familier avec les méandres d’une telle structure de personnalité. À travers leur rage, leur projection, leur mépris, leur manque d’empathie réelle, ils augmentent le risque de dommages relationnels via les abus ou la négligence. Les thérapeutes ainsi que les personnes interagissant avec des narcissiques doivent apprendre à décoder leurs mécanismes de défense, les dépersonnaliser (ne pas assumer les émotions projetées sur eux), et réparer du mieux qu’ils peuvent les blessures dues à une résonance réduite afin de mettre fin au cycle vicieux de la traumatisation. Le thérapeute aguerri et le parent suffisamment bon accepteront d’être un modèle de faillibilité, trouvant un niveau optimal de frustration alors qu’ils naviguent les besoins de tous ceux qui sont concernés. Le narcissisme est un peu comme le tonus musculaire : il ne peut être trop mou (ou flasque, sinon il n’arrivera pas à créer un mouvement) ou rigide (catatonie paralysante). Un narcissisme sain, par sa flexibilité et son dynamisme, procurera un tonus résilient au concept de soi, comme le muscle au tonus optimal qui bougera une partie du corps dans l’amplitude souhaitée.
Alors que nous sommes en relation avec nos enfants, nos étudiants et nos patients, il nous faut aspirer à valider, contenir, refléter. En milieu thérapeutique, il faut démasquer la peur, la honte, l’envie et la rage, en commençant peut-être par la défense la plus distale : refléter l’arrogance et creuser aussi profondément que le patient vous laissera, et explorer un peu plus loin à chaque fois à mesure que la tolérance à la détresse augmente. Travaillez sur la confiance et rassurez le paranoïde. Dissipez ou distrayez de la rage. Redonnez du pouvoir à l’envieux. Afin d’éliciter ou d’accéder à notre propre empathie et auto-compassion (et d’une façon, en faire la démonstration au patient), il faut d’abord être en contact avec sa propre expérience émotionnelle afin de distinguer ce qui nous appartient et ce qui vient de l’autre de façon à éviter le piège de l’identification projective. Ensuite, il est important de garder à l’esprit que les défenses désagréables crient fort les besoins non comblés du patient qui cherche désespérément à maintenir une cohésion de soi. Alors que nous contenons en espace thérapeutique sécuritaire, notre rôle est de a) aider les patients à développer une représentation de soi plus équilibrée grâce à notre mirroring attentif; b) favoriser le développement de concept de soi sain en étant un « parent-thérapeute » suffisamment bon qui arrive à examiner les blessures non guéries avec chaque patient; et c) exciser la honte en les aidant à accepter le sentiment d’impuissance, en normalisant cette expérience et offrant un renforcement positif notre humanité commune à travers la reconnaissance et l’acceptation de notre vulnérabilité.
Je dédie cet essai au Dr Antoine Jilwan, un psychanalyste inspirant, mon mentor depuis l’école de médecine, un père spirituel et un ami exceptionnel qui a joué un rôle significatif dans l’évolution de mes réflexions et mes conceptualisations du narcissisme et des états traumatiques.