La reconnaissance du nom comme clef d’une dignité nouvelle

Journal of Psychiatry Reform vol. 10 #1, January 2023


Caroline Giroux, MD, FRCPC

Author information:

Professor of Psychiatry, Psychiatrist, University of California, Davis Medical Center, Department of Psychiatry and Behavioral Sciences, Sacramento, California, USA. [email protected]


Comme un vaisseau de languissement lorsque murmuré à l’oreille de l’être aimé, comme culmination d’un accouchement pour célébrer une naissance, comme sceau d’authenticité dans le coin d’un tableau, par sa nature poétique à la fois dans sa musicalité et sa signification, le nom attire souvent l’attention. Il pointe dans une certaine direction: celle de nos doux souvenirs quand nous entendons un nom qui nous rappelle un être cher, celle de notre planification de tâches lorsqu’il est proféré pour donner des instructions, et celle de notre sécurité lorsque prononcé suffisamment fort pour nous alerter d’un danger et obtenir notre attention en s’adressant à nous par notre nom plutôt que par un générique du genre “monsieur” ou “hé, toi!”. Il lie une personne à une autre au démarrage d’une conversation, comme pour sceller un moment particulier d’attention mutuelle et totale suivant l’échange des salutations. En pratique clinique, nous nous enquérons de leur nom à nos patients pour tester leur niveau de conscience et leur orientation. Donc, le nom que nous portons comme étiquette a de multiples fonctions. Nous nous y accrochons dès l’enfance et il est si significatif qu’il précède souvent l’utilisation du “je” pour référer à soi-même (“Diane a faim” ou “Diane est fatiguée”). J’ai trouvé si mignon quand mon fils aîné utilisa ainsi son prénom jusqu’à presque 5 ans. On s’attache à notre nom et on le défend comme un trésor lorsqu’il est massacré parce qu’inhabituel ou d’origine étrangère (mon plus jeune fils s’offusqua à la pré-maternelle quand sur sa chemise de devoirs il remarqua une apostrophe et un s ajoutés par l’enseignante pour signifier le possessif tel qu’il est utilisé dans la langue anglaise. Afin de l’apaiser, j’avais dû apposer un autocollant pour camoufler ces intrus dans son précieux nom!). Nous apprécions l’effort de ceux prenant la peine de vérifier la prononciation correcte ou préférée de notre nom, comme une façon de nous rejoindre en terrain familier. Nous l’altérons quand nous sentons qu’il en faut un autre plus aligné avec l’intersection de nos identités, incluant celle de genre. Et notre nom est sans doute le mot que nous écrirons le plus souvent au cours d’une vie: signatures sur cartes de souhaits, sur des formulaires, sur des feuilles d’examens, sur des cartes d’identité à des congrès, etc. Notre écrit laisse une trace dans l’univers tangible. Notre nom prononcé peut signifier cohésion de notre être, en remettant les morceaux de notre personne ensemble dans une séquence de sons et de symboles. 

 

Au cours de mes nombreuses années de pratique comme psychiatre, j’ai souvent connu des patients qui, après avoir vécu des traumatismes ou un épisode psychotique, ont rapporté un trouble perceptuel qui consistait à entendre quelqu’un appelant leur nom. Je ne crois pas qu’une telle manifestation soit aléatoire ou dénuée de signification, étant donné que notre nom peut être étroitement lié à notre identité et concept de soi. C’est un repère issu de notre enfance et un des premiers cadeaux de nos parents après la vie elle-même. Peut-être l’ont-ils même inventé, nous offrant alors un héritage additionnel que sont leur créativité et leur originalité. Par conséquent, l’entendre pourrait constituer un réconfort que le cerveau a développé afin de consolider notre sentiment d’exister, et afin de contrer la dissociation ou sentiment d’annihilation et de perte de pouvoir après un trauma ou quand il y a perte de contact avec la réalité comme lors d’une psychose. Cela pourrait aussi être une forme de flahsback auditif si avoir entendu quelqu’un nous menacer ou nous avertir d’un danger a fait partie de la situation traumatique. Le nom peut aussi présenter une connotation négative et créer de l’aversion chez la personne qui l’a associé trop souvent à un contexte de critique ou réprimande en jeune âge, ce qui pourrait donner lieu à l’adoption d’un diminutif ou surnom. 

 

Même avant de connaître toute l’histoire, débuter une première rencontre en demandant à chaque patient comment il préfère se faire appeler ne fait pas seulement partie intégrante d’une approche professionnelle mais cela demeure une façon décente et souhaitable d’aborder les gens en général. Après tout, parmi nos caractéristiques et attributs individuels, un nom a de grandes chances d’être la constante la plus longue dans la vie de quelqu’un. L’apparence physique, la voix, la force musculaire, la digestion, l’endroit où l’on habite, les relations, les goûts, tout cela changera à un moment ou à un autre. Mais ce n’est généralement pas le cas d’un prénom. Sa perennité nous situe dans les représentations mentales que les autres ont de nous: notre famille d’origine, nos enfants, notre partenaire, nos amis et nos collègues de travail. C’est comme un ancrage en temps de tourmente. C’est un fait indéniable auquel s’appuyer dès que l’on se sent rejeté ou aliéné. Il transporte les émotions d’un autre personne vers nous comme l’irritation (lorsque dit sèchement ou en élevant la voix) ou la tendresse (quand il est murmuré). 

 

Faire l’effort de se souvenir du nom des gens que nous recontrons et s’efforcer de s’adresser à eux par leur nom est un signe de considération et de respect. J’irais même jusqu’à dire que cela peut aider à restaurer la dignité d’une personne. Donc, il devrait être employé chaque fois que nous saluons nos patients parce que le nom transporte le message “je te vois” ou “tu comptes pour moi.” Le besoin de se sentir accepté est universel mais néanmoins souvent ignoré. Référer à l’autre en disant son nom implique au moins que nous acceptons une forme de co-présence. Cela personnalise l’échange et permet un degré d’intimité qui va au-delà d’interactions neutres (comme lorsque nous demandons des directions à un passant). Cela aide à nous faire sentir que notre statut dans un moment particulier vaut la peine qu’on s’y arrête et qu’il se distingue du statut d’un étranger aux yeux de celui prononçant notre nom. Entendre notre nom rend légitime notre existence, alors que nous répliquons en silence: “Oui, je suis présent. J’ai de nouveau fait mon apparition dans la vie aujourd’hui.” Cela aide les gens à sentir qu’ils ont leur place sur terre. Un autre savoureux souvenir est lors d’un voyage à Vancouver il y a plusieurs années et au cours duquel mon second fils, qui n’avait pas encore débuté l’école, remarquait les lettres et s’exclamait “C’est mon nom!” chaque fois qu’il apercevait un signe avec un grand A. Nos noms sont une façon de nous faire sentir visibles ou invisibles à ceux qui nous entourent [1]. Le nom transcende les raccourcis comme “patient”, “client”, “consommateur” ou “passager”. Ceux qui ont vécu un divorce peuvent attester de l’aspect déshumanisant des procédures quand ils se font appeler Demandeur/Demanderesse ou, pire encore, Défendeur/Défenderesse (car c’est le parti opposant, ou Demandeur, qui a initié le divorce, donc il semble persister une dynamique de pouvoir simplement en utilisant de telles appellations). 

 

J’ai remarqué que je suis devenue particulièrement sensible au sujet du nom et attachée au mien après ma migration. Mon nom sert de facteur stabilisateur, il représente quelque chose de ma vie d’avant qui a voyagé avec moi, alors que j’ai tant laissé derrière. Entendre mon nom en langue étrangère, surtout quand sa prononciation se rapproche de la sonorité française à laquelle je suis habituée, me procure un sentiment de familiarité qui me rassure. Au cours des dernières années, comme activité pour briser la glace dans une réunion, j’ai commencé à demander aux participants de partager l’histoire de leur nom (qui l’a choisi, et pourquoi). Cette façon de se connaître un peu mieux est fascinante. Chaque fois que j’écoute quelqu’un me révéler des détails de l’expérience de son nom, je suis ébahie d’apprendre un aspect profond de l’autre et de découvrir davantage d’éléments d’une culture étrangère. À l’instar d’un anniversaire de naissance et de la mort, le nom est l’une des rares justices en ce monde: chacun en a un ou peut en réclamer un. 

 

Je ne pense pas qu’il soit controversé d’affirmer que le nom est un élément puissant de la vie. Qu’on y soit attaché ou qu’on l’exècre, il peut façonner notre soi, notre identité ou les impressions que les autres ont de nous. S’y cramponner ou en choisir un nouveau peut être une manière de restaurer un sentiment d’intégrité et de se réapproprier son pouvoir. Je me souviendrai toujours d’une scène d’un film sur la vie de Tina Turner. Alors qu’elle était à la cour pour son divorce,au lieu de revendiquer la part de fortune à laquelle elle avait droit, elle demanda simplement de conserver son nom (soit Turner, son nom de femme mariée), et celui qui était maintenant associé à sa grande célébrité pour laquelle elle avait tant travaillé. Comme on peut le constater, un nom camoufle beaucoup de choses. Il peut contenir des histoires inspirantes de résilience, de réappropriation de pouvoir et de guérison. Et maintenir cette intention d’utiliser quelque chose d’aussi simple que le nom peut déverrouiller d’infinies possibilités de connexion, d’éclosion, de plénitude d’être et de transcendance. 

 

Référence: 

 

  1. Lebensohn-Chialvo F. That’s not my name. Families, Systems, & Health. 2021 Mar;39(1):163. 
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