L’effet insidieux “postpartum”: quand la normalité de la maternité devient synonyme de pathologie

Journal of Psychiatry Reform vol. 10 #4, April 2023



Caroline Giroux, MD, FRCPC

Information d’auteure:

Professeure de Psychiatrie, Médecin Psychiatre, Université de Californie, UC Davis Medical Center, Department of Psychiatry and Behavioral Sciences, Sacramento, Californie, États-Unis. [email protected]

 

Souvent, quand les mères consultent ou sont référées pour une évaluation de dysrégulation émotionnelle dans les mois suivants un accouchement, elles disent qu’elles consultent pour “postpartum”. Postpartum a été si souvent juxtaposé à la dépression (ou la psychose) que sa connotation est saturée de négativité. À la base, et ce depuis plusieurs années, il ne semble y avoir rien de désirable à être en “postpartum”. Par exemple, il est rare d’entendre quelqu’un clamer avoir de la “joie postpartum”, “créativité postpartum”, “auto-actualisation postpartum”, ou “excitation postpartum”. 

Un tel phénomène me préoccupe. Parce que dans notre domaine, pathologie veut dire problème, et qu’il y a un besoin de corriger, réparer. Et cela vient généralement sous la forme d’une prescription de médicament. Mais quand on commence à écouter les histoires de ces mères en détresse, on réalise que cette anxiété, ce besoin fréquent de s’assurer que leur bébé respire toujours, le sentiment d’être incompétente, les “blues” sont en fait compréhensibles. Néanmoins, nos interventions bien intentionnées et “basées sur l’évidence” risquent d’exacerber cette impression d’être inadéquat… Comme si le problème nécessitant un traitement se trouvait à l’intérieur de la mère, comme des vestiges de rétention placentaire. Mais qu’en serait-il si nous élargissions la perspective? Et si l’utérus de la genèse de l’inconfort était en fait plus étendu qu’il n’en a l’air? 

Il y a plusieurs années, j’ai écrit un essai pour tenter de faire sens d’une tendance que j’avais remarquée chez de jeunes ou récentes mères. Je réalisai qu’elles souffraient trop souvent de ce postpartum tant redouté en partie à cause de l’absence de congé de maternité aux États-Unis. Je suis convaincue que si j’avais été contrainte de retourner au travail six semaines après avoir accouché, si j’avais eu à choisir entre perdre mon emploi ou laisser mon nourrisson en garderie, j’aurai été déprimée aussi. Je n’ai pas été témoin de niveau de détresse si grand chez mes proches et amies du Canada qui bénéficièrent de plusieurs mois, sinon toute une année, pour développer le lien d’attachement avec leur nouvel enfant. Et dans mon cas, je sais très bien qu’avoir eu la chance de rester à la maison 4 mois pour mon premier bébé, 6 mois 3 ans plus tard pour mon second, et ensuite 8 mois pour mon dernier m’aida à récupérer après chaque grossesse, accouchement, et à recharger durant l’allaitement et les soins à ma jeune famille grandissante. Mais un retour au travail prématuré pour voir des patients pendant que chaque bébé requérait mes soins et mon temps aurait été une torture. C’est qu’il faut aussi du temps pour examiner l’impact significatif d’un tel changement et d’une étape développementale aussi complexe que celle de devenir parent. Il faut un espace de réflexion pour métaboliser cet événement et ajuster sa vie pour cette nouvelle personne dont nous devenons responsable. Cela fait partie d’une pratique de méditation qui nous permet d’être en résonance et présents comme parents, dans le but de ne pas répéter des dynamiques destructrices et autres blessures vécues dans l’enfance. Un autre facteur qui entre souvent en jeu est une histoire d’abus sexuel: la grossesse, avec ses transformations corporelles, les examens vaginaux fréquents, et le processus d’accouchement puis l’allaitement peuvent tous constituer des déclencheurs de réactions post-traumatiques de par les interventions invasives et la nouvelle mission du corps, en réactivant des souvenirs liés à des expériences d’objectification ou d’exploitation. 

Récemment, j’ai constaté une autre conséquence dommageable de notre mode de vie accéléré et de la persistence des attentes sexistes envers les femmes et les mères. Une patiente me fut référée en consultation par son médecin gynécologue pour “postpartum”. Après avoir eu un diabète gestationnel et une pré-éclampsie, mais un accouchement sans complications, elle se sentit dépassée par son nouveau rôle, même si la grossesse était désirée. Sa mère était décédée au début de la pandémie et trois ans plus tard, cette réalité la frappa de plein fouet. Elle dit devoir apprendre à être mère “sur le tas”. Dans son ouvrage “La Constellation Maternelle”, Daniel Stern, qui explore les thérapies nourrisson-parent, développe ce concept pour décrire une étape au cours de laquelle les parents (surtout les mères) vivent un changement représentationnel durant la grossesse, en ayant une forme unique de vie mentale organisée dans laquelle l’enfant est prédominant [1]. L’émergence d’autres thèmes liés à la maternité, les représentations, dynamiques conflictuelles et émotions associées aux expériences d’attachement avec la mère de la future mère sont ainsi “constellées” et valent la peine d’être explorées sur un plan psychodynamique. La gestation incite la mère en émergence à examiner son rapport avec sa propre mère, et son concept de soi comme parent. Même si elle affirma ne pas avoir eu de difficulté à éprouver un élan affectif envers son enfant à sa naissance quelques mois auparavant, mentionnant que son bébé voulait toujours la toucher et qu’elle la laissait faire, le fait que ma patiente n’ait pas eu la présence de sa mère pour la guider dans cette transition a sans doute contribué au jaillissement d’émotions douloureuses (tristesse, sentiment d’être débordée). De plus, sa mère avait perdu trois enfants (une fille était morte-née avant ma patiente, et après celle-ci, sa mère eut une mortinaissace d’un garçon, et ensuite une autre fille de un an mourut noyée). J’exprimai qu’il avait dû être difficile pour sa mère de vivre de telles tragédies, de perdre tant de jeunes enfants… Il n’était donc nullement étonnant que ma patiente verbalise qu’elle craignait de “perdre” son bébé, narratif sans doute hérité par sa mère. D’autant plus que ma patiente débuta sa vie en naissant prématurément, ce qui la mena aux soins intensifs pendant 3 mois, visitée par ses parents qu’une fois par semaine car ils habitaient à plus d’une heure de route… Non seulement elle était touchée par ce trauma transgénérationnel de perdre des bébés, majoritairement des filles, dans la vie de sa maman, mais elle avait elle-même souffert le trauma pré-verbal d’une séparation due à l’hospitalisation après sa naissance et à un contact insuffisant avec ses parents. Cela risque de créer une synergie pour le développement d’attachement insécure, qui tend à se manifester en dépendance affective, en s’accrochant à l’autre, ou en évitant la relation avec l’autre, deux types de méchanismes de défense contre la réactivation de ces besoins d’attachement non comblés au début de la vie. 

Consciente que souvent, l’histoire se répète de façon étrangement insistante jusqu’à ce que le “malédiction” soit exposée et ainsi brisée, je lui demandai si la mère de sa mère  avait aussi perdu des enfants. Le trauma transgénérationnel peut parfois englober plusieurs générations.  Sa grand-mère maternelle eut apparemment “plusieurs” enfants, mais en plus de perdre sa mère, elle perdit trois autres filles. On pourrait imaginer qu’un autre narratif inconscient chez ma patiente concernait une malédiction sur les filles dans son arbre généalogique, d’où son angoisse postpartum après avoir donné naissance à une fille. 

Alors que la pharmacothérapie a certainement sa place et devrait être recommandée en cas d’atteinte majeure des capacités fonctionnelles et de risque pour la sécurité de la patiente et son entourage, aucun ISRS ni aucune pilule n’aidera ma patiente à se libérer de sa peur et de ses schémas. Aucun médicament n’éliminera le deuil de sa mère, réactivé au moment où elle en devint une elle-même. 

Ce que je crois qui aidera plutôt cette mère est de l‘encourager à commencer par devenir sa propre mère en faisant d’elle-même une priorité au lieu de sacrifier ses besoins parce tout le monde autour veut ou a besoin d’un morceau d’elle. Depuis le décès de sa mère (qui s’occupait de tout dans la maisonnée, incluant le paiement de factures), elle s’était mise à la remplacer en aidant son père à prendre soin de ses frères qui ont un délai développemental. Donc, un de ses défis consistera à trouver l’équilibre parmi les différents niveaux de responsabilités en s’occupant d’elle-même, en mettant des limites, en délégant et demandant du support. Sa guérison implique aussi de continuer à laisser sa fille la caresser et l’étreindre, ce dont elle manqua à cet âge. De cette façon, elle apprend à se permettre d’aimer sa fille malgré la peur. L’amour, cette source d’énergie renouvelable, triomphera de la peur en la faisant fondre. Mon souhait pour tous les parents qui se sentent mal équipés pour élever des enfants est qu’ils prennent une pause, réfléchissent et regardent (au lieu de fuir ou d’ignorer) leur peur et, en la nommant courageusement, comme l’a fait ma patiente, arrivent à laisser jaillir la compassion de soi afin de donner à l’entourage par le débordement plutôt que d’être en déficit. Et on pourra alors inscrire un nouveau diagnostic: “évolution postpartum favorable”. 

 

Référence: 

 

  1. Stern DN. The motherhood constellation: A unified view of parent-infant psychotherapy. Routledge; 2020 Jun 16.